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Mensonges et vérité – Le discours d'Obama à l’AGNU Disséqué

Mensonges et vérité – Le discours d'Obama à l’AGNU Disséqué

New Eastern Outlook
6 Octobre, 2015
Traduction par Jean-Maxime Corneille, article exclusif initial pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook” 

Pour ceux qui ont pris la peine d'écouter le discours du Président Obama à l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) sans s’endormir comme le Secrétaire John Kerry a clairement souhaité le faire, il y avait un contraste frappant entre ce discours et celui qui a suivi, celui du Président russe. Dès avant la fin de première phrase que Barack Obama termina, nous pouvions sentir son émotion. Elle projetait un mépris et une arrogance d'une variété tout à fait spéciale : « Nous avons le plus gros, le plus méchant outil militaire ; nous faisons la loi1, vous les péons des nations du monde ».

En parcourant le texte officiel d’Obama, il est difficile de trouver ne serait-ce qu’une seule phrase où il parle honnêtement. Ce n’est pas un exemple de propagande grise, mais noire. Je cite plusieurs des cas les plus flagrants :

Peu après le début, dès après l’habituel hommage pieux aux 70 ans d’histoire de l'Organisation des Nations Unies, M. Obama annonce : « les Etats-Unis ont travaillé avec de nombreuses nations dans cette Assemblée afin d’empêcher une troisième guerre mondiale - en forgeant des alliances avec d'anciens adversaires ; en soutenant régulièrement l'émergence de démocraties fortes et responsables auprès de leurs peuples au lieu de l’être auprès d'une puissance étrangère2».

Je suis donc mis au défi de réfléchir à une seule démocratie forte et responsable devant son peuple, que les interventions américaines de ces dernières années auraient pu soutenir. Au contraire, regardez l’état des lieux depuis l'invasion américaine et la destruction de l'Afghanistan en 2001, puis de l'Irak en 2003. Ensuite, nous avons vu le lancement par le Département d'État des États-Unis, sous Hillary Clinton, d’une vague de déstabilisations pilotées par des ONG et les médias/réseaux sociaux, dits « Printemps arabes », sous le faux drapeau [prétexte] de l'installation de la démocratie. Ensuite Washington est allé jusqu’à la destruction du plus stable, et pacifique Etat de l'Afrique : la Libye de Kadhafi. Enfin en 2013, le coup d'Etat du Maïdan dirigé en sous-main par les États-Unis, à installé une bande de néo-nazis et de hooligans à Kiev pour tenter de déstabiliser la Russie. Chaque intervention ouverte ou secrète3 des États-Unis a apporté au monde un pas de géant vers la Troisième Guerre mondiale. Le dernier mouvement en ce sens aura été l’insistance de la part des États-Unis, à venir placer les bombes nucléaires les plus avancées sur le sol allemand, constituant une déstabilisation majeure du statu quo actuel entre l'OTAN et la Russie4.

Plus loin dans le discours d'Obama, après des paroles sonnant bien sur les magnifiques principes de la Charte des Nations Unies, sur l’« effort collectif », et la « coopération diplomatique entre les grandes puissances du monde », il a inséré un bizarre non sequitur5: « Je dirige la plus forte puissance militaire que le monde ait jamais connue, et je n’hésiterais jamais à protéger mon pays ou nos alliés, unilatéralement et par la force si nécessaire ». Une sorte d’adaptation moderne de la chanson de Jim Croce dans les années 19706, pourrait ainsi être intitulée « Vous ne cherchez pas de noises à Barack » ... Voilà donc pour la Charte des Nations Unies. Voici donc le gantelet de fer sous le gant de velours, qui constitua trop souvent ces dernières décennies, la substance de la politique étrangère et militaire des États-Unis.

Ensuite, Monsieur le Président continue à parler des dictateurs et des tyrans. Tentant de détourner les accusations contre les États-Unis concernant les changements de régimes par l'intermédiaire d'ONG, Barack Obama déclare : « Ce n’est pas une conspiration des ONG soutenues par les USA qui exposent [rendent publiques] la corruption et soulèvent les attentes des peuples autour du globe : c’est la technologie, les médias sociaux... ». La vérité est simplement celle-ci, concernant les ONG soutenues par les USA, dont la plupart des membres de l’audience des Nations Unies ont pu faire une expérience personnelle, à travers ces ONG financées par le Congrès des Etats-Unis comme le “National Endowment for Democracy“ [NED], la Freedom House, et la Fondation Soros pour une Société Ouverte [Open Society]. Il s’agit précisément de ces changements de régimes voulus par Washington, via des « ONG soutenues par les USA qui exposent la corruption », obtenues par le moyen de la « militarisation de la démocratie et des droits de l’homme »1, qui font basculer des régimes légitimes mais qui refusent de se plier à l'ordre du jour [agenda] de Washington : ceci du Brésil à la Syrie. Et comme la récente affaire Snowden et d’autres révélations le confirment, ces médias sociaux basés aux Etats-Unis tels que Facebook, Twitter et autres sont liés ou bien travaillent en étroite collaboration avec la CIA, le Département d'Etat, la NSA, et facilitent ces changement de régime par les ONG.

Maintenant vient un gros mensonge. Le Président des États-Unis déclare : « Peu importe la puissance de notre armée, la force de notre économie, nous comprenons que les Etats-Unis seuls ne peuvent pas résoudre les problèmes du monde. En Irak, les Etats-Unis ont appris la dure leçon que même des centaines de milliers de soldats courageux, efficaces, des billions8 de dollars de notre Trésor, ne suffisent pas pour imposer la stabilité sur une terre étrangère ».

Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le Président, si vous aviez appris cette dure leçon après avoir gaspillé ces « billions de dollars », non pas de votre Trésor, mais de vos contribuables américains et chinois et de tous les autres qui ont investi dans vos obligations du Trésor américain, pour financer cette débâcle a appelé la guerre d’Irak, pourquoi êtes-vous donc aujourd'hui en Syrie? Qu’est-ce que vous faites donc en formant les militaires ukrainiens aujourd'hui? Pourquoi vous ingérez-vous partout dans le monde afin d’y soulever les peuples? Pourquoi construisez-vous des bases militaires sur chaque morceau de terre dans le monde où vous pouvez creuser un trou pour planter le drapeau américain? Vous admettez même que c’était [la guerre d’Irak] un fiasco total. Il y a une déconnection significative d’avec la réalité à Washington aujourd'hui.

Finalement, le Président américain touche le réel point de son mécontentement actuel : la Russie : « Considérant l'annexion russe de la Crimée et d'autres agressions dans l'Est de l'Ukraine. L'Amérique a peu d'intérêts économiques en Ukraine... nous ne pouvons pas rester en attente lorsque la souveraineté et l'intégrité territoriale d'un pays est violée de façon flagrante. Si cela se produit sans conséquence en Ukraine, il pourrait arriver la même chose à toute autre nation présente ici aujourd'hui. Voilà la base des sanctions que les Etats-Unis et nos partenaires imposent à la Russie ». Cette déclaration ignore habilement la réalité des événements survenus en Ukraine en 2013-2014.

Il est un point tout à fait documenté du dossier, qu'en Ukraine c’est bien une révolution « de couleur » parrainée par Washington qui a été lancée en Novembre 2013 : avec des bataillons de manifestants agités sur la place Maïdan contre le gouvernement légalement élu du président Viktor Ianoukovitch, légitime bien que corrompu9. Cette « révolution » a été allumée par les ONG de George Soros et consorts, soutenues par les USA, à peine quelques secondes après un tweet du « poulain » soutenu par les Etats-Unis (et aujourd’hui Premier ministre ukrainien) Arseni Iatseniouk, appelant à des manifestations dites "euromaïdan". Elles furent dirigées contre la décision légitime du gouvernement Ianoukovitch acceptant une offre de la Russie, économiquement très attractive, en vue de rejoindre son Union économique eurasiatique émergente, bénéficiant ainsi d'une réduction des coûts de gaz russe de 30% et d’une offre d'achat de 15 milliards de $ de dette de l'Etat Ukrainien.

Et ce fut la Secrétaire d'État adjointe néoconservatrice, Victoria “Fuck l'UE“10 Nuland (qui est le malotru qui a osé dire que Washington a aujourd'hui oublié l'art de la finesse diplomatique?) qui, a mené (aux côtés du Vice-président Joe Biden et de l'ambassadeur américain à Kiev, Jeffrey Pyatt et d’une cohorte d’agents de la CIA), ce que George Friedman, le directeur général américain de Stratfor11, a appelé « le coup le plus flagrant dans l'histoire »12, en Ukraine en Février 2014. Puis Washington a continué de sélectionner pièce par pièce le gouvernement ukrainien, allant jusqu’à placer un citoyen américain, vétéran du Département d'Etat américain en tant que ministre des Finances13, et nommé le fils du Vice-président Biden14 au conseil de la compagnie Ukraine d’Etat du gaz, ainsi que d'autres « intérêts américains ».

La fraude syrienne

Enfin, Barack Obama vient directement à la Syrie, la question que la diplomatie russe a récemment exposée à l'examen de monde. Le président Obama déclare : «Nulle part notre engagement pour l’ordre international n’a plus davantage testé qu’en Syrie. Quand un dictateur massacre de dizaines de milliers de ses propres citoyens, ceci ne relève plus uniquement des affaires intérieures d'une nation : cela engendre de la souffrance humaine à un degré de magnitude qui nous affecte tous. »

D'abord, il n'a jamais été établi qu’Assad ait tué « des dizaines de milliers » de citoyens syriens. Deuxièmement, voici là un moyen tout à fait sournois pour tenter de justifier une idée insidieuse, la «Responsabilité de protéger » (RDP / RTP : Responsability to Protect), qui a été utilisée par Washington en Libye en 2011 pour détruire ce pays. La RDP est une violation directe de la Charte des Nations Unies. La « Coalition» de Washington voulant bombarder la Syrie soi-disant pour détruire l’EI le ferait également en violation de la Charte des Nations Unies, comme tout bombardement d’une nation souveraine sans y être invité officiellement par son gouvernement, comme l'exige la Charte de Washington rédigé en 1944 à Dumbarton Oaks.

Opposition syrienne modérée?

Le jeu de Washington est d'abord de pousser le Président élu Assad vers la sortie, et dans le même temps, il clame à qui veut l’entendre qu'il veut détruire l’EI (ou l’EIIL ou Daech, l’un de ses nombreux noms au choix). Or la position de la Russie est claire: la seule force organisée en Syrie aujourd'hui capable de détruire les terroristes salafistes, tous les terroristes salafistes, c’est le gouvernement de Bachar al Assad et les services de l'Armée et du Renseignement national syrien qui lui restent fidèles.

Le discours d'Obama parle du soutien américain aux rebelles de l'opposition « modérée ». Pourtant, dès Avril 2013, lorsque l’EI a été appelé « Al-Qaïda en Irak et en Syrie », et mené alors par l’égyptien Ayman al-Zawahiri, le lieutenant formé par les américains de feu Oussama ben Laden. Le New York Times, citant de nombreux fonctionnaires des Etats-Unis, témoignait du fait que la quasi-totalité des combattants rebelles en Syrie étaient des terroristes islamistes extrémistes15. Il n'y a pas d’opposants « modérés » combattants aujourd'hui. La soi-disant Armée Syrienne Libre “modérée“ a également signé un pacte de non-agression avec l’EI depuis 201416.

Il y a une blague russe qui fait actuellement le tour de Moscou : Poutine est de retour au Kremlin, après sa rencontre de Septembre à New York avec le président Obama, sur la Syrie et d'autres sujets. Un assistant de confiance lui demande comment l'entretien avec Obama s’est passé. Poutine dit à son collaborateur, que dans le but de refroidir les esprits et de calmer les nerfs avant de se pencher sur de graves sujets tels que les guerres de Syrie ou d’Ukraine, le président russe a proposé qu'il s’asseye pour une partie d’échecs. Poutine confie alors à son collaborateur ce en quoi consiste une partie d’échecs avec Obama : « C’est comme jouer avec un pigeon : d'abord, il renverse toutes les pièces, puis il chie sur l’échiquier et finalement il se pavane tout autour comme s’il avait gagné ».

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