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 Le Vice-président US Joe Biden séduisant Erdoğan...

Le Vice-président US Joe Biden séduisant Erdoğan...

New Eastern Outlook
27 janvier 2016
Traduction par Jean-Maxime Corneille, article exclusif initial pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook” 

Le Vice-président américain Joe Biden joue un rôle très spécial dans les plus sombres politiques de l'Administration Obama, un rôle qui est globalement négligé parce qu'il est une personnalité dont le visage apparaît peu. Il semble cependant que partout où Washington a l'intention d'initier une guerre, Obama envoit Joe afin d'initier les choses. Il vaut donc la peine d'examiner de plus près Joe Biden, sous l'angle de sa récente visite à Ankara et de ce qu'il y a dit...

Le 24 janvier, Joe Biden est arrivé à Ankara pour des réunions intensives avec le Président turc Recep Tayyip Erdoğan et son Premier Ministre Davutoğlu. Ce qui fut significatif quant à ces pourparlers, et qui a été rendu public, c'est le fait époustouflant que Biden, représentant le Gouvernement des États-Unis, ait déclaré que ces mêmes États-Unis sont engagés dans une guerre afin de défaire l'EIIL, le soi-disant État Islamique ou en arabe "Daech". Pourtant, il n'a même pas discuté avec les dirigeants turcs de la négociation d'une résolution politique en Syrie, si l'on en croit un officiel américain présent dont le nom n'a pas été dévoilé1.

Au lieu de cela, Washington a apporté sa caution au nettoyage ethnique en cours d'Erdogan, à peine voilé sous le doux nom de "guerre contre les terroristes" du PKK, une guerre en faite menée contre la population kurde turque et leurs alliés kurdes syriens. De plus, Biden se tenant parmi les dirigeants turcs, a annoncé que si les pourparlers diplomatiques de Genève de cette semaine au sujet de la Syrie devaient échouer, une action militaire en Syrie devrait suivre : « nous savons pertinemment qu'il serait préférable d'arriver à une solution politique, mais nous sommes préparés si cela ne devait pas être possible, à une solution militaire dans cette opération visant à éradiquer Daech2».

De plus, il a indiqué que Washington ne ferait pas pression sur la Turquie afin de stopper ses déploiements de troupes militaires à l'intérieur de l'Irak, vers les riches champs pétroliers de Mossoul, tenus présentement par Daech : laissant de côté ce point comme relevant des gouvernements irakiens et turcs, ceci correspond de fait à un appui américain de l'invasion illégale de la Turquie en Irak. En fait, Biden a discuté du soutien militaire américain, non spécifié, en faveur des mouvements militaires turcs afin de s'emparer des champs pétroliers de Mossoul. En outre, le Vice-président américain n'a apparemment pas déclaré un mot au sujet de la contrebande illégale par l'EIIL du pétrole irakien et syrien, qui continue vers la Turquie d'où les pétroliers du fils d'Erdogan l'acheminent sur les marchés mondiaux, finançant ainsi la terreur de l'État Islamique à l'intérieur de la Syrie, celle-là même à laquelle Biden déclare s'opposer3...

À présent Joe Biden, un homme méchamment corrompu sous bien des égards, savait pertinemment qu'Erdoğan (et son chef du Renseignement turc MIT, Hakan Fidan), soutient ouvertement Daech, l'entraîne, et l'arme afin de répandre la guerre en Syrie par l'entremise de "Daech" ou de l'"EIIL", celui-là même que Washington clame à qui veut l'entendre que les Américains sont en train de combattre. Dans une entrevue accordée le 18 octobre 2015 à l'Agence de nouvelles turque Anadoly, Fidan avait ainsi déclaré le soutien ouvert de la Turquie en faveur de Daech : « L'Émirat islamique [sic] est une réalité, et nous devons accepter que nous ne pouvons pas éradiquer une institution bien organisée et populaire comme l'est l'État Islamique. C'est la raison pour laquelle je demande urgemment à mes collègues de l'Ouest [Occident] de réviser leur prises de positions sur les dossiers politiques islamiques actuels, de mettre de côté leur mentalité cynique et de contrecarrer les plans de Poutine visant à fracasser les révolutionnaires islamistes syriens4».

La Grande Séduction.

Ainsi que le je l'ai écrit précédemment, ce qui est en train de secouer le Moyen-Orient aujourd'hui, loin d'une résolution diplomatique de la guerre soutenue par les États-Unis (une guerre menée par l'État Islamique afin de détruire le gouvernement légitimement élu du Président syrien Bachar al Assad), c'est une séduction « camouflée et menée depuis les coulisses5», de l'ambitieux et grandiloquents Erdoğan, soutenu par le non moins grandiloquent et stupide régime saoudien du roi Salmane pro-EI, et de sa tête brûlée de fils militairement incompétent : le Ministre de la Défense et roi de facto, le Prince Salmane.

Le jeu de Washington semble ainsi consister à donner assez de "laisse" aux turco-saoudiens, afin de se pendre eux-mêmes au gré d'une folle ambition de pouvoir en ruant vers les riches champs pétroliers de Syrie et d'Irak, voire s'ils devaient être assez fous pour cela, vers les champs iraniens également. Bien peu d'observateurs gardent à l'esprit que ce fut le même roi Salmane qui organisa le flux d'argent saoudien au bénéfice de la CIA, finançant ainsi leurs créatures [islamistes]: ceci remonte à lorsque Salmane, en tant que Prince, organisait le financement d'Oussama Ben Laden et des Moudjahidines de la future Al Qaïda, engagée contre l'Armée rouge soviétique durant la guerre d'Afghanistan des années 19806.

Il s'agit là aujourd'hui d'une alliance économique et militaire obscène, entre le grandiose et ambitieux Erdogan et la monarchie saoudienne wahhabite. De leur côté, la monarchie saoudienne de Salmane et du Prince Salmane rêverait d'acquérir davantage de champs pétroliers afin d'accroître sa richesse. Ceci, non pas parce que la monarchie est dans le besoin, mais parce que ses dirigeants entretiennent l'illusion que s'ils devenaient les possesseurs d'une majorité du pétrole mondial, ils seraient finalement autorisés à « s'asseoir à la table du Maître », et non plus à être traités par d'arrogants oligarques occidentaux comme des bédouins primitifs éleveurs de chameaux, bien que roulant en Rolls-Royce.

Le grand Sultan?

En mars de cette année, en tant que résultat d'une collusion entre la monarchie saoudienne de Salmane avec Erdoğan, le Président égyptien Abdel Fattah Al Sisi fut contraint de remettre un poste politique vital entre les mains d' Erdoğan. Erdoğan va en effet bientôt diriger l'Organisation de la Coopération Islamique (OCI), considérée comme l'"ONU musulmane", qui arrive en seconde place au sein des Nations Unies en termes de taille et de pouvoir mondial.

L'Arabie Saoudite a en effet arrangé des pourparlers entre la Turquie et l'Égypte, mettant en place le cadre d'un accord de paix entre ces deux pays (devant être finalisé avant avril), en vertu duquel Al-Sisi allait passer le pouvoir dirigeant au sein de l'OCI à Erdogan. En 2013, la Turquie d'Erdogan avait condamné le renversement du régime issu de la Confrérie des Frères musulmans en Égypte par al Sisi, refusant de reconnaître la légitimité du Maréchal. À présent, en vertu des termes de l'accord obtenu par les Saoud en tant qu'entremetteurs, Sisi ne va pas uniquement abandonner sa présidence de l'OCI, ce qui correspond sans aucun doute à un accord graissé avec de l'argent saoudien en faveur de l'Égypte, qui se trouve actuellement dans le besoin. Mais Sisi va aussi va aussi livrer au régime turc favorable à la Confrérie des Frères musulmans d'Erdogan, des centaines de Frères musulmans égyptiens qui étaient jusque-là en attente dans les couloirs de la mort égyptiens, depuis qu'Al Sisi avait renversé le Président de la confrérie Mohammed Morsi en 20137.

Il faut avoir à l'esprit que l'OCI fut fondée en 1969 par 57 Etats membres, afin d'être « la voix collective du monde musulman ». Elle fut mise en place en tant que résultat de l'effondrement de l'Empire ottoman et du Califat après la Première Guerre mondiale, effondrement qui avait laissé une vacuité susceptible d'être comblée par une nouvelle institution pan-islamique. Il s'agit plus ou moins du même groupe d'États islamiques qui ont été invités à Riyad le mois dernier par le prince Salmane, afin d'y former la "Coalition Antiterroriste Islamique" des Saoud8.

Pas à pas, le grandiose et ambitieux Erdoğan, l'actuel "protecteur" international de la Confrérie des Frères musulmans, soutien de Daech/de l'EEIL, est en train de se rapprocher de son rêve à long terme : restaurer le Califat islamique, mais pas avec un quelconque personnage appelé Al Baghdadi, qui peut très bien avoir été uniquement fictif. Le nouveau Grand Sultan sera en fait... Recep Tayyip Erdoğan lui-même. Ou en tout cas il l'espère, spécialement depuis cette dernière visite à Ankara du tortueux Joe Biden...

Il devient de plus en plus clair que les planificateurs de Washington et leurs soutiens oligarchiques de Wall Street et du cartel pétrolier "Big Oil", sont en train de mettre en place la scène pour quelque chose de très gros et de très dramatique, qui va se dérouler dans les prochains mois au Moyen-Orient.

L'issue escomptée pourrait surprendre le monde entier. Elle ne va pas bénéficier à la cause d'un monde pacifique et harmonieux, si Joe Biden et ses patrons mettent leurs plans sur les rails, nous pouvons en être assurés...

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1 Carol E. Lee and Dion Nissenbaum, Joe Biden Presses for Expansion of Turkeys Role in Fighting ISIS, January 24, 2016, The Wall Street Journal, http://www.wsj.com/articles/joe-biden-affirms-commitment-to-isis-fight-if-syria-talks-fail-1453565763
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Friends of Syria blog, Hakan Fidan on DAESH, 21 October 2015, friendsofsyria.info, http://friendsofsyria.info/index.php/2015/10/21/while-merkel-conspires-to-give-european-citizenship-to-turkey-the-turkish-intelligence-services-chief-and-confidant-of-erdogan-take-an-official-position-for-daesh-eng-fra/.
5 NDT : "Covert behind-the-scenes" : Mot à mot, "couvertes et menées depuis l'arrière-scène/les coulisses" ("couverte" au sens du renseignement, c'es à dire non officiellement admise).
6 F. William Engdahl, « Erdoğan, Salmane et la guerre"sunnite" à venir pour le pétrole », 22 décembre 2015, http://www.williamengdahl.com/frenchNeo22Dec2015Full.php
7 Walid Shoebat, Erdogan To Take Control Of The Islamic United Nations Setting The Islamic Caliphate Within His Site, January 20, 2016, http://shoebat.com/2016/01/20/91695/
8 F. William Engdahl, op. Cit.

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