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Je refuse de croire en une guerre nucléaire pour la Syrie et le pétrole

Je refuse de croire en une guerre nucléaire pour la Syrie et le pétrole

21 février 2016
Traduction par Jean-Maxime Corneille, article exclusif initial pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook”   

Au gré de ces conflits bizarres qui semblent ne jamais devoir finir au Moyen-Orient, des guerres menées au final pour quelque chose d'aussi stupide que le contrôle du pétrole, un rapport des plus alarmants a fait surface, évoquant le scénario cauchemardesque de nations faisant usage de leurs armes nucléaires tactiques afin de sécuriser leur buts de guerre. Si cela devait vraiment se passer ainsi, ce serait alors la plus stupide chose que l'espèce humaine aurait pu faire à ce jour pour se détruire elle-même. Étant donné les implications de ce qui était ainsi rapporté, ceci justifie plus qu'un examen minutieux.

Il s'agit d'un rapport provenant d'un journaliste américain sérieux, citant une « source anonyme proche de Poutine », selon laquelle une guerre nucléaire opposant la Russie contre les États-Unis, l'OTAN, la Turquie et l'Arabie Saoudite est possible. Je refuse de croire en une telle guerre nucléaire au sujet de la Syrie et je veux dire ici pourquoi.

Le rapport en lui-même :

Le 18 février, Robert Parry, un journaliste d'investigation américain d'une haute qualité inhabituelle, qui a découvert des détails explosifs concernant les illégalités du scandale Iran–Contra impliquant le Gouvernement américain, entre autres affaires durant les années 1980, a écrit la note alarmante qui suit sur son site Internet :

« Une source proche du président russe Vladimir Poutine, m'a révélé que les russes ont averti le Président turc RecepTayyip Erdoğan que Moscou est en train de se préparer à l'utilisation d'armes nucléaires tactiques, si nécessaire afin de préserver ses troupes, face à l'assaut turco-saoudien. Du fait que la Turquie se trouve être un membre de l'OTAN, un tel conflit pourrait rapidement dégénérer en une confrontation nucléaire à grande échelle1»

Il se trouve que j'ai suivi les travaux de Parry depuis les années 1990, et je les considère comme étant d'une haute qualité professionnelle.

Le rapport de Parry a ensuite été relayé par Alexander Mercouris, pour le site Internet Russia Insider. Mercouris est lui aussi un analyste précautionneux d'une qualité de sérieux inhabituelle, quant aux événements russes. Il a ajouté au rapport Parry ses propres détails au sujet d'une réunion inhabituelle qui s'est tenue le 11 février, au sein du très important Conseil de sécurité de la Fédération de Russie (CSFR), suivie d'une série d'exercices militaires mis en place sous un très court préavis, dans le district militaire du Sud, qui ressemble à ce qui pourrait être « conçu pour préparer outil militaire russe à une action rapide à très court préavis, contre la Turquie si le besoin s'en faisait sentir2».

Le Saker, nom de plume d'un analyste militaire lui aussi hautement respecté et nanti de connaissances certaines, dont les écrits concernant la Russie depuis le coup d'État organisé par les États-Unis en Ukraine début 2014, sont connus pour avoir été exceptionnellement sobres, tandis qu'il reprenait l'article de Mecoursis sur son blog, a ouvertement désapprouvé le rapport Parry et l'analyse de Mercoursis. Le 20 février, il écrivait : « je ne vois aucun scénario à court terme d'une attaque massive de l'Amérique et de l'OTAN sur le fondement duquel la Russie serait conduite à faire emploi de ces armes nucléaires tactiques ». Il ajoutait la citation traduite de la doctrine russe quant à l'emploi des armes nucléaires :

« Fermé §27: la Fédération de Russie réserve le droit d'emploi des armes nucléaires, en réponse à l'utilisation contre elle et (ou) ses alliés d'armes nucléaires ou autres armes de destruction massive, de même qu'en cas d'agression contre la Fédération de Russie par le moyen d'armes conventionnelles, d'une façon qui menacerait son existence même en tant qu'État. La décision d'user d'armes nucléaires est prise par le Président de la Fédération de Russie3. »

Voilà ce qu'est mon sentiment :

Je veux déclarer quelque chose de complètement différent, au sujet du rapport quant à l'utilisation possible d'armes nucléaires à l'occasion du conflit de Syrie. Je refuse de croire qu'il puisse y avoir une guerre nucléaire au sujet de la Syrie et du pétrole, point barre!

Le conflit en Syrie se trouve être essentiellement un conflit entre deux personnages : Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, et son voisin Bachar Hafez al-Assad, Président de Syrie, Commandant-en-chef des Forces Armées Syriennes, Secrétaire Général du parti Baas au pouvoir, et Secrétaire Régional des branches du parti en Syrie. Il ne s'agit PAS d'une Troisième Guerre mondiale, et je refuse de croire que cela puisse devenir une Troisième Guerre mondiale. Il s'agit d'un conflit entre deux personnes : Assad et Erdoğan.

Si nous reconnaissons cette réalité au sujet de la nature du conflit syrien, nous relativisons alors immédiatement ce qu'il s'y passe. Le problème est qu'il existe une faction à l'Ouest qui bave d'envie à la perspective d'une guerre nucléaire artificielle impliquant la Russie de Poutine, et désireuse de manipuler Erdoğan, le prince saoudien Salmane, et n'importe qui n'importe où qui pourrait être en mesure de tromper son monde afin d'atteindre ce but. Ils ont essayé et ils ont échoué en Ukraine.

Le problème, un problème bien plus fondamental que je vois à présent de plus en plus clairement à l'arrière-plan, est que si on le comprend sous cette lumière, il [ce conflit] s'agissait d'une erreur initiale, si on peut le comprendre comme une erreur. Les dirigeants russes ont décidé d'intervenir militairement à la fin de septembre, pour une complexité de raisons dont je crois que certaines ont trait à la défense de la sécurité militaire russe, certaines sont liées au rang de la Russie à son rang perçu dans le monde, certaines pour de complexes raisons idéologiques s'enfonçant profondément dans l'histoire russe. Tout ceci a conduit la Russie à accepter la plainte de l'un des deux partis dans le conflit syrien, afin de mener une guerre militaire contre les terroristes, qui étaient en réalité le bras armé du second parti, celui d'Erdoğan.

Cette erreur a à présent été exploitée par la faction belliciste au sein de l'OTAN et au-delà, une faction à l'Ouest qui souhaite désespérément détruire la Russie au même titre que la Chine, en tant que deux forces positives pour le bien du monde.

Il n'importe pas de savoir si une personne de confiance issue du cercle intérieur de Vladimir Poutine, a fait passer ce message à Robert Parry au sujet de cette utilisation des armes nucléaires tactiques, pour le cas où l'armée d'Erdogan envahirait la Syrie et menacerait les vies des quelques 20.000 personnels militaire russe estimés présents sur zone. L'action militaire de la Russie en Syrie a alimenté le monde en davantage d'énergie guerrière nourrie de meurtres et de haines. Tandis que le monde avait urgemment besoin de moins de cette énergie.

Ainsi que je l'ai déclaré dans une entrevue récente pour l'Agence de Presse d'État russe Sputnik News, il n'y a pas de gagnant dans une guerre, du fait même de la nature de la guerre. Tout le monde à l'occasion d'une guerre est trompé, joue un jeu machiavélique : Erdogan, Salmane et son fils le prince Salmane, le Sous-secrétaire Général pour les Affaires Politiques [Under-Secretary-General for Political Affairs] Jeffrey Feltman, John Kerry, Obama, David Cameron, Hollande4.

La Russie est dans une situation plus risquée en Syrie, si elle et ses personnels dirigeants ont l'illusion que les autres acteurs en face sont raisonnables. La haine ne connaît pas de raison. La Syrie de Bachar al-Assad ne peut pas gagner ce conflit contre la Turquie d'Erdogan. Pas plus que la puissance aérienne la plus sophistiquée de la Russie ne peut gagner en son nom.

Ceci étant dit, à présent nous avons la situations dans laquelle des milliers de militaires turcs nerveux attendent en chiens de faïence, lorgnant sur la frontière avec la Syrie. Parallèlement à ce spectacle stupide, nous avons le déploiement récent d'appareils de l'Armée de l'Air saoudienne basée à présent sur la base aérienne d'Incirlik5, Air Base (à 170 km de la base aérienne russe Khmeimim, près de Lattaquié, Syrie). Les avions saoudiens stationnent donc aux côtés de 5000 personnels de l'USAF et des avions militaires variés de la 39e escadre aérienne [Air Base Wing] des États-Unis, et de l'Armée de l'air turque, aux côtés également des F-15E de la Royal Air Force britannique qui sont arrivés en novembre 2015, afin de se joindre aux "attaques contre l'EI". Il est bon de signaler aussi que cette Base Aérienne de Incirlik aujourd'hui, est l'une des six bases aériennes de l'OTAN en Europe, et dispose à ce titre d'un stock d'armes nucléaires tactiques6

La base aérienne turque  d'Incirlik
La base aérienne turque d'Incirlik (étoile rouge) proche de la frontière syrienne,
est l'une des six bases aériennes de l'OTAN et dispose à ce titre d'armes nucléaires tactiques.

J'ai détaillé dans mon dernier livre, «The Lost Hegemon: Whom the gods would destroy [l'hégémonie perdue : celle que les dieux eux-mêmes détruiraient] », traitant au sujet de l'alliance impie complexe durant depuis plusieurs décennies entre le culte de morts des Frères musulmans et la CIA, remontant à l'Arabie Saoudite du début des années 1950. Les conflits entre la Syrie d'Assad et la Turquie d'Erdogan n'ont strictement rien à voir avec la religion.

C'est un fait, quelque soient les partis qui ont ensuite décidé de rejoindre l'un ou l'autre des deux côtés. Ceci rappelle davantage une rixe de bar à partir du moment où la première bouteille de bière a été lancée. Ceci n'a rien à voir avec le fait de tuer des chrétiens (orthodoxes, catholiques ou autres, en dépit des récents pourparlers entre le pape romain et le patriarche de Moscou). Cela n'a rien à voir avec une guerre entre les wahhabites [considérés comme] sunnites contre les chiites ou les Alaouites.

Le secret : il s'agit du pétrole, abrutis!

La raison bien peu comprise de ce conflit pour la Syrie et en fait pour le Moyen-Orient tout entier, est il s'agit d'un conflit visant à contrôler son pétrole : les énormes réserves pétrolières de la Syrie qui ont été découverte sur le plateau du Golan occupé par Israël ; les énormes réserves pétrolières de l'Irak à Kirkouk et ailleurs ; les réserves de pétrole significative de la Libye; et les vastes réserves en gaz du Qatar. Chacun des partis impliqués veut tout ce pétrole : les cercles anglo-américains, les cercles français, les Saoud, les Turcs, les Syriens, les Israéliens, les Irakiens : tous. Une bonne part du conflit de l'OTAN avec la Russie se joue également autour du pétrole et du gaz. Et même le conflit larvé de la Chine avec ses voisins et avec les États-Unis dans la Mer de Chine du Sud se joue lui aussi significativement autour du pétrole.

Le conflit syrien sous cette lumière, doit être regardé pour ce qu'il est : il s'agit essentiellement d'un conflit entre deux personnes, Assad et Erdogan, au sujet du contrôle du pétrole et des vastes ressources monétaires tirées du pétrole. Il ne s'agit pas du début d'une Troisième Guerre mondiale, ainsi que le pape de Rome l'a dit à l'aéroport Jose Marti de Cuba l'année dernière. C'est pourquoi je refuse de croire qu'il puisse y avoir une guerre nucléaire autour de la Syrie et de son pétrole.

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1 Robert Parry, Risking Nuclear War for Al Qaeda?, February 18, 2016, https://consortiumnews.com/2016/02/18/risking-nuclear-war-for-al-qaeda/
2 Alexander Mercouris, Did Russia Just Threaten Turkey With Nuclear Weapons?, February 19, 2016, Russia Insider, http://russia-insider.com/en/politics/did-russia-just-threaten-turkey-nuclear-weapons/ri12936
3 The Saker, Week Nineteen of the Russian Intervention in Syria: Would Russia use nukes to defend Khmeimim?, February 20, 2016, Week Nineteen of the Russian Intervention in Syria: would Russia use nukes to defend Khmeimim?
4 Ekaterina Blinova, Daesh Terrorists: A Multifunction Tool in Hands of Ankara, Riyadh, NATO, Sputnik News, 20 February, 2016, http://sputniknews.com/politics/20160220/1035090698/daesh-multifunction-tool-in-hands-of-ankara-riyadh-nato.html#ixzz40o0sM9Nb
5 « La Turquie a bien ouvert sa base d'Incirlik aux Américains » (Le Point/AFP, 24 juillet 2015). http://www.lepoint.fr/monde/la-turquie-a-bien-ouvert-sa-base-d-incirlik-aux-americains-24-07-2015-1951279_24.php Rappr : « La base turque d'Incirlik, enjeu stratégique américain » (Le Monde, 4 mai 2009) http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/05/04/la-base-turque-d-incirlik-enjeu-strategique-americain_1188554_3214.html « Six F-16 américains déployés sur la base turque d’Incirlik » (Zone Militaire/Opex360, 10 août 2015) http://www.opex360.com/2015/08/10/six-f-16-americains-deployes-sur-la-base-turque-dincirlik/
6 Gordon Corera, Tactical nuclear weapons are 'an anachronism', BBC News, 3 February 2012, http://www.bbc.com/news/world-europe-16877666.

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